Sonnet III. Le Songe
Puis m'apparut une Pointe aiguisée
D'un diamant de dix pieds en carré,
A sa hauteur justement mesuré,
Tant qu'un archer pourrait prendre visée.
Sur cette Pointe une urne fut posée,
De ce métal sur tous plus honoré:
Et reposait en ce vase doré
D'un grand César la cendre composée.
Aux quatre coins étaient couchés encor
Pour piédestal quatre grands lions d'or,
Digne tombeau d'une si digne cendre.
Las, rien ne dure au monde que torment!
Je vis du ciel la tempête descendre
Et foudroyer ce brave monument.
J. Du Bellay, Le Songe, 1558.
Quand vous serez bien vieille...
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me célébroit du temps que j’estois belle.
Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant,
Bénissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre et fantaume sans os
Par les ombres Myrteux je prendray mon repos.
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourdhuy les roses de la vie.
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, Les Amours, 1578
Petite épître au roi, Clément Marot
"En m’ebattant je fais rondeaux en rime,
Et en rimant bien souvent je m’enrime :
Bref, c’est pitié d’entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime ailleurs,
Et quand vous plaît, mieux que moi, rimassez,*
Des biens avez, et de la rime assez.
Mais moi à tout ma rime, et ma rimaille
Je ne soustiens (dont je suis marri) maille.
Or ce me dit (un jour) quelque rimart:
"Viens ça, Marot, trouves-tu en rime art
Qui serve aux gens, toi qui a rimassé:
- Oui vraiment (reponds- je) Henri Macé;
Car, vois-tu bien, la personne rimante,
Qui au Jardin de son sens la rime ente,
Si elle n’a des biens en rimoyant,
Elle prendra plaisir en rime oyant.
Et m’est avis, que si je ne rimois,
Mon pauvre corps ne serait nourri moi,
Ne demi-jour. Car la moindre rimette,
C’est le plaisir, ou faut que mon ris mette."
Si vous supplie, qu’à ce jeune rimeur
Fassiez avoir un jour par sa rime heur.
Afin qu’on die, en prose, ou en rimant:
"Ce Rimailleur, qui s’allait enrimant,
Tant rimassa, rima, et rimonna,
Qu’il a connu, quel bien par rime on a. " "
L'Adolescence clémentine, Clément Marot, (1532)
*allusion aux productions poétiques de François Ier.
Poème autoportrait en action de Clément Marot qui évoque la création. Véritable démonstration de jonglerie poétique, de virtuosité, tout en essayant de convaincre le roi de son talent afin d'obtenir un soutien financier.
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